Dans cette perspective, la détention[1] peut se justifier en vue d’assurer l’exécution d’un renvoi, et ne devrait généralement concerner que la personne refusant de collaborer à l’exécution de son renvoi ou laissant penser qu’elle tentera de s’y soustraire.
La personne dont la détention administrative a été prononcée peut faire l’objet de mesures coercitives spécifiques[2]. Parmi ces mesures, figure le rapatriement par la voie aérienne[3]. Si, dans la pratique, les deux premiers vols de retour vers le pays d’origine peuvent être refusés par le requérant débouté, l’ultime vol, le vol dit « spécial »[4], s’effectue par la force et le concerné est expulsé dans un avion expressément affrété à cet effet, menottes aux poignets, attaché à un siège spécial et casqué. Durant toute la durée du vol – qui peut durer une journée entière – le détenu reste sanglé à son siège et ne peut recouvrer la liberté de ses mouvements qu’une fois remis aux autorités de son pays d’origine. A noter que les autorités d’exécution ont l’obligation légale d’organiser un entretien préparatoire avec la personne à rapatrier quelques jours avant l’exécution du renvoi afin de lui expliquer son déroulement[5].
Ces différentes mesures sont extrêmement coûteuses pour les autorités helvétiques[6]. Etant basées sur le droit, celles-ci sont supposées garantir un traitement juste, humain et proportionnel aux circonstances propres à chaque cas. Cependant, dans notre pays, toute personne ayant commis le seul délit de vivre en Suisse en situation irrégulière peut encourir jusqu’à 18 mois de détention administrative[7], de même que la perspective d’un renvoi forcé.
La Ligue Suisse des droits de l’Homme (ci-après LSDH) s’est toujours opposée à la détention administrative et à la pratique des vols « spéciaux », mesures qu’elle estime inadéquates et totalement disproportionnées, notamment à l’encontre de certains migrants qui risquent au demeurant de sérieuses condamnations pénales dans leur pays d’origine pour le seul fait d’avoir quitté leur territoire.
Un exemple particulièrement flagrant de l’iniquité de cette pratique est celui d’Alagie Cassama, jeune gambien arrivé en Suisse en 2012 et y ayant demandé l’asile. Il a fui la Gambie où il était menacé de mort. A Genève il crée rapidement des liens. Doué dans le sport, il intègre un club de foot qui le soutiendra. Entre temps, sa demande d’asile est refusée. Personne intègre, respectant ses convocations auprès des autorités et ne s’opposant pas à son départ pour la Gambie, il est pourtant incarcéré en été 2015 en vue de la préparation de son renvoi, et ce bien qu’il ne remplisse pas les critères justifiant sa détention. Les autorités suisses, afin de déterminer sa nationalité qu’il n’a pourtant pas cachée, le présentent dans un premier temps à une délégation gambienne, qui ne le reconnaît pas comme ressortissant gambien. Il est ensuite présenté à une délégation sénégalaise qui le reconnaît, suite à une brève audition, comme ressortissant dudit pays. Refusant toujours fermement un retour vers le Sénégal, il est à nouveau présenté à une délégation gambienne qui, après une audition longue et détaillée, le reconnaît Gambien, pour finalement se rétracter quelques jours après, sans justification aucune. Une telle absence de transparence ne peut que surprendre, eu égard notamment au droit constitutionnel de pouvoir être tenu informé de l’avancement de sa procédure.
Malgré les nombreuses démarches de son avocate afin de rectifier la situation et insister sur l’erreur de nationalité de son client, malgré les efforts du jeune homme pour prouver sa nationalité et pour fournir son certificat de naissance gambien et malgré le soutien de son club de football[8], Alagie Cassama a été renvoyé par vol spécial au Sénégal, attaché à son siège, menotté et la tête placée dans un sac[9], ce mercredi 30 septembre 2015. Comble du cynisme, le jour du renvoi, les autorités lui ont fallacieusement indiqué qu’il allait se rendre au tribunal, alors même qu’aucune audience n’avait été appointée ce jour. Une telle absence d’information entre en violation crasse avec la loi qui indique expressément que les personnes à rapatrier doivent être informées préalablement. Par ailleurs, le recours au vol « spécial » paraît in casu inapproprié dans la mesure où aucun indice ne laissait présupposer qu’Alagie Cassama s’opposerait par la violence à son départ. Aujourd’hui, il se retrouve seul, à 22 ans, dans un pays avec lequel il n’a aucune attache, sans moyens financiers, et dans l’incapacité de rejoindre la frontière gambienne, faute de titre de séjour valable au Sénégal !
La LSDH dénonce ce renvoi comme étant le fruit d’une procédure administrative gravement déshumanisante et dégradante. La violence de la situation est totalement disproportionnée envers ce jeune homme plein d’énergie et de potentiel, n’ayant commis aucune infraction pénale en Suisse, venu chercher une vie meilleure dans un pays étranger. De même, la LSDH ne peut que s’étonner de la procédure kafkaïenne menée par les autorités migratoires, qui se sont obstinées de manière totalement injustifiée – et alors que de sérieux indices s’y opposaient – à renvoyer le jeune Alagie Cassama dans un pays dont il affirme ne pas être ressortissant.
Enfin, la LSDH condamne fermement l’usage de mesures de contraintes totalement prohibées par la législation fédérale, à l’instar du sac mis sur la tête du jeune homme. Un tel traitement, en raison de son caractère particulièrement humiliant et avilissant est susceptible – s’il est avéré – de constituer un traitement inhumain et dégradant au sens de l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et engager par conséquent la responsabilité de la Confédération.
Pour la LSDH :
Le Comité
Les motifs de détention administrative sont exhaustivement énumérés aux articles 73 à 82 LEtr.
Prévues par la Loi sur l’usage de la contrainte du 20 mars 2008 (ci-après LUsC) et son ordonnance d’application (ci-après OLUsC).
Cf. art. 27 LUsC et 27 à 31 OLUsC.
La loi parle de rapatriement de « niveau 4 » (art. 28 al. 1 let. d OLUsC).
Art. 27 al. 2 LUsC et 29 OLUsC.
A noter que le coût moyen d’un rapatriement forcé s’élève à CHF 16’000.- par personne.
Cf. art. 79 LEtr.
Cf. article paru le 2 octobre dans la Tribune de Genève : http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/joueur-fc-donzelle-expulse-senegal/story/25671508
Source : http://www.24heures.ch/suisse/suisse-romande/mobilisation-joueur-foot-expulse-senegal/story/31160094
Archivé le 04/11/2023 depuis https://www.lsdh.ch/category/geneve/actualite-geneve/.