Arrestations préoccupantes de jeunes Kurdes de Syrie devant l’OCPM: une situation disproportionnée, absurde et inhumaine

Publié le

par

dans

De telles arrestations, longuement dénoncées par la LSDH, sont particulièrement choquantes dans la mesure où elles réduisent à néant la confiance des administrés envers les autorités, alors que ces jeunes ont fait preuve de transparence vis‐à‐vis de l’Etat. Il est d’ailleurs frappant de constater que cette arrestation est intervenue moins d’un jour avant que la Suisse n’ait l’obligation légale de traiter la demande d’asile de la fratrie Musa. La volonté du « renvoi à tout prix » au mépris de droits fondamentaux est donc particulièrement aberrante dans le cas d’espèce.

La LSDH‐Ge déplore également la réaction a posteriori de l’exécutif genevois, qui n’a pas hésité à se réfugier derrière des considérations prétendument légales, arguant n’avoir aucune marge de manœuvre pour mettre fin à ce renvoi scandaleux, un jour avant l’obligation de la Suisse à admettre la demande d’asile de la fratrie Musa, et nonobstant la faculté de tout Etat à tenir compte des situations de rigueur.

Or, la séparation des familles lors des renvois a fait l’objet de critiques émanant de la Commission nationale de la prévention de la torture dans son rapport relatif au contrôle des renvois en application du droit des étrangers du 24 mai 20161.  L’on peine dès lors à comprendre le comportement des autorités genevoises, quelques mois seulement après la publication d’un rapport émanant d’institutions fédérales, dénonçant des pareilles situations jugées contraires à l’art. 8 CEDH.

Il est par ailleurs désolant de constater que les frère et sœurs Musa ont été expulsés par un vol de niveau 4, à savoir un vol spécial, lors duquel les personnes à rapatrier sont généralement entravées aux poignets, aux chevilles et aux bras au moyen de manchettes reliées à un ceinturon2. Or, la loi ne permet de recourir à ce genre de procédé que lorsque « la personne à rapatrier est susceptible d’opposer une forte résistance physique »3, et doit être utilisé que si un renvoi par vol de ligne n’a pas pu être effectué en raison de la résistance de l’intéressé. Il est dès lors inconcevable que les autorités fassent immédiatement recours à une mesure aussi extrême pour trois jeunes adultes (dont deux femmes) d’une vingtaine d’années, ne présentant aucun signe de violence. Une seule explication semble s’imposer : les Musa doivent être renvoyés coûte que coûte – peu importe la proportionnalité des moyens – avant le délai légal, afin que la Suisse n’ait pas à traiter leur demande d’asile.

Le cas de la famille Musa illustre ainsi le caractère déshumanisant et excessivement formaliste des procédures Dublin, ainsi que la volonté manifeste des autorités genevoises à faire primer l’intérêt abstrait à l’exécution d’un renvoi par rapport au droit fondamental au respect de la vie familiale de personnes déjà profondément affectées par la situation dans leur pays d’origine et leur parcours migratoire. Ainsi la LSDH‐Ge réaffirme son opposition au principe des renvois Dublin et dénonce avec force la volonté de l’exécutif genevois de faire du renvoi une fin en soi, au détriment des droits humains.

1 Rapport CNPT du 24 mai 2016, pp. 12‐13, §§ 31‐32.
2 Rapport CNPT du 24 mai 2016, p. 9, note 25.
3 Art. 28 al. 1 let. d. OLUsc.

___

Surpeuplement, absence de test, manque de matériel sanitaire et de savon: la situation dans les prisons genevoises est alarmante et appelle des mesures urgentes et exceptionnelles pour assurer la santé de la population, y compris des personnes détenues et du personnel. L’Association des juristes progressistes (AJP), la Ligue suisse des droits de l’homme (LSDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) demandent aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection de la santé du personnel et des personnes détenues. Elles appellent à la mise en liberté des personnes ayant purgé la moitié de leur peine, à un dépistage de toutes les personnes détenues, à ce qu’il soit renoncé à de nouvelles incarcérations et au vote d’une loi d’amnistie pour certains délits.

Quatre jours après les premières mesures exceptionnelles et urgentes ordonnées par le Conseil d’État contre la diffusion du COVID-19, la prison de Champ-Dollon demeure largement surpeuplée, avec 657 personnes détenues pour 398 places. Il est impossible d’y suivre correctement les recommandations sanitaires. Selon les témoignages reportés par nos membres, jusqu’à six personnes partageraient toujours la même cellule. Les dispositifs de protection (masques, gants, désinfectant) pour le personnel et les personnes détenues seraient insuffisants. Les demandes de savon seraient sur liste d’attente.

La situation extraordinaire due à la pandémie a conduit les autorités à prendre des mesures exceptionnelles dans le but de limiter la propagation du COVID-19. Parmi les principales recommandations de l’Office fédéral de la santé publique figure celle d’éviter au maximum tout contact social, d’éviter les rassemblements de plus de cinq personnes ainsi que de maintenir une distance d’au moins deux mètres entre les individus. Toute personne malade ou ayant été en contact étroit avec une personne infectée doit se placer en auto-isolement et éviter tout contact.

La mise en œuvre de ces recommandations répond à l’obligation de toute autorité de prendre les mesures appropriées pour assurer la protection de la santé des personnes relevant de sa juridiction. Elle doit s’appliquer à chaque personne, sans discrimination, et plus particulièrement aux personnes vulnérables.

Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà reconnu que l’État se doit de protéger la santé des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins requis. Des conditions de surpeuplement ne dispensent pas les autorités de prendre les mesures nécessaires. La violation de ces obligations peut constituer un traitement inhumain et dégradant (art. 3 CEDH), voire une violation du droit à la vie (art. 2 CEDH). En refusant de prendre des mesures urgentes et extraordinaires pour les prisons, les autorités genevoises violent les droits fondamentaux des personnes détenues. En retardant la mise en liberté des personnes dont la détention n’est pas indispensable, en refusant de mettre en place des peines alternatives et de fournir une protection sanitaire adéquate aux fonctionnaires et aux personnes détenues, les autorités assument le risque d’une contamination étendue à l’ensemble de la prison, qui aggravera la surcharge des établissements médicaux et s’étendra rapidement à l’extérieur. Elles exposent également au danger la santé et la vie de toutes les personnes en contact quotidien avec les personnes détenues (fonctionnaires, proches, avocat-e-s, …).

Les organisations signataires appellent les autorités à reconnaître que la situation dans les prisons genevoises est juridiquement inacceptable ainsi qu’à prendre des mesures à la hauteur des circonstances, soit notamment : Que l’Office cantonal de la détention • ordonne sans délai et d’office la libération conditionnelle de toute personne détenue qui a subi la moitié de sa peine (art. 86 al. 4 CP) ;

  • retarde toute nouvelle exécution d’une peine privative de liberté ;
  • procède à un test de dépistage du COVID-19 auprès de l’ensemble des personnes détenues et des fonctionnaires des lieux de détention. Éloigne immédiatement les personnes contaminées, en leur assurant une surveillance médicale et des conditions conformes à la dignité humaine ;
  • assure la mise à disposition du matériel sanitaire (masques, gants, savon) nécessaire à l’ensemble des personnes concernées (personnes détenues, avocat- e-s, fonctionnaires).

Que le Ministère public et le Tribunal des mesures de contraintes renoncent à ordonner toute nouvelle détention provisoire, sauf risque accru de réitération de crimes ou délits graves.

Que le Parlement fédéral vote en urgence une loi d’amnistie pour les infractions d’entrée, sortie et séjour illégal (art. 115 LEI) et rupture de ban (art. 291 CP), ce qui permettra de réduire drastiquement le surpeuplement des prisons genevoises.

Pour l’Association des Juristes Progressistes: Olivier Peter, co-président

Pour la Ligue suisse des droits de l’homme: Anna Sergueeva membre du Comité

Pour l’Organisation mondiale contre la torture: Iolanda Jaquemet, Directrice de la communication

Archivé le 04/11/2023 depuis https://www.lsdh.ch/category/geneve/actualite-geneve/.